L'?volution du football fran?ais de 1919 ? 1944
Graphique des sociétés affiliées et des joueurs licenciés
Encyclopédie Générale des Sports et des Sociétés Sportives en France, Paris, Editions artistiques et documentaires, 1946, p. 398.
Ce graphique statistique agrémenté de dessins de footballeurs censés figurer la progression du football depuis la création de la Fédération française de football association (FFFA) le 7 avril 1919, représente en creux deux des paradoxes du football français de la première moitié du vingtième siècle.
C’est tout d’abord celui du sport le plus populaire reposant sur un solide soubassement associatif. De 76 192 joueurs en 1926, on passe à 144 069 en 1931, 188 760 en 1938 et 281 202 en 1943. On note seulement deux reculs conjoncturels : en 1932, sans doute les effets des débuts de la crise économique en France, et en 1939-1940, conséquence de la mobilisation puis de la « Drôle de Guerre ». Le nombre de sociétés affiliées et en activité suit cette augmentation de joueurs auxquels il faudrait ajouter les footballeurs des fédérations travaillistes (communiste et socialiste puis unifiées dans la FSGT) et des patronages de France, soit quelques dizaines de milliers d’unités. Si la DFB, la fédération allemande, présente des chiffres nettement supérieurs, en comptabilisant il est vrai dans ses effectifs tous les licenciés y compris ce qui ne jouent pas, puisqu’elle revendique 986 046 membres en 1930 pour 137 273 en France, la FFFA n’est pas ridicule à l’échelle latine. Avec 144 069 membres en 1931, sans compter les footballeurs « rouges » et catholiques, elle surclasse très nettement la FIGC, la fédération italienne de football. Fort de sa masse de pratiquants, le football français peine pourtant à se faire reconnaître, au contraire de ses homologues transalpins et d’outre-Pyrénées sur la scène internationale. Le bilan de l’entre-deux-guerres est même désastreux pour les Bleus : sur 117 rencontres, 67 se soldent par une défaite, 37 par une victoire et 11 par un match nul ! Les dirigeants français (et ceci est valable pour d’autres sports) éprouvent donc encore de grandes difficultés à convertir une pratique de masse et un professionnalisme assumé à partir de la saison 1932-1933 en dividendes internationaux.
Le deuxième paradoxe concerne la Seconde Guerre mondiale. Habilement réalisé pour masquer les réalités de la période 1939-1945, le graphique écrase visuellement l’essor de la
période de Vichy. En effet, la période de l’Occupation et la politique sportive lancée sous l’égide de Jean Borotra directeur du Commissariat général à l’éducation générale et sportive est une période très favorable au développement du sport en général, du football en particulier. De fait entre 1938 et 1943, alors que deux millions d’hommes sont prisonniers presque 100 000 nouveaux footballeurs sont affiliés à la Fédération française de football ! Effets de la politique de Vichy, volonté de se divertir alors que les bals sont interdits et que la jeunesse est soumise à un contrôle moral ou complaisance de l’occupant, de nombreux facteurs viennent expliquer cette augmentation qui parachève cependant la massification de la pratique du football relevée en France dès la veille de la Grande Guerre. La France de Vichy aura aussi été celle du roi-football.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté et Centre d’histoire de Sciences Po