L'invention des styles nationaux
Les tournois olympiques puis les premières Coupes du Monde des années trente établissent les premières hiérarchies du football et permettent déjà de distinguer des manières de jouer propres à un caractère national. Et, à la fin de la deuxième édition de la compétition mondiale disputée en Italie en 1934, le dessinateur français BEN propose une série de caricatures censées représenter les styles nationaux qui se sont exprimés dans les stades transalpins.
Si les Anglais refusent encore de participer aux Coupes du Monde et se sont retirés de la FIFA, leur prestige reste immense ; ils sont en quelque sorte le pôle autour duquel gravitent les différentes nations du football qui viennent lui emprunter les innovations tactiques comme le WM, initié par le manager d'Arsenal Herbert Chapman pour adapter son équipe à la réforme du hors-jeu de 1925.
L'Europe centrale s'arroge ensuite la part du lion. Réservoir de joueurs techniques dans lequel viennent puiser les clubs d'Europe occidentale, les pays issus de l'éclatement de l'empire austro-hongrois s'inventent des styles qui exprimeraient leur identité nationale. Les Hongrois, par exemple, seraient des virtuoses du ballon comme Liszt était un virtuose du piano… Ce que retient BEN, c'est avant tout leur science du jeu : le « Savant » pour le football hongrois, le « Géomètre » pour son homologue tchèque. Ces dénominations ne sont pas usurpées, la Tchécoslovaquie se classant deuxième de la Coupe du Monde 1934, comme la Hongrie quatre ans plus tard à Paris.
Le football italien est avant tout assimilé à un style politique. Le calcio à la mode fasciste est devenu, il est vrai, champion du monde en 1934 devant Mussolini en personne…
L'évocation du style allemand se distingue peu des clichés sur l'Europe centrale. C'est toutefois sous le nazisme que l'équipe nationale adopte un jeu puissant et brutal préparant les succès de 1954.
Enfin, si l'Uruguay, championne olympique en 1924 et 1928, championne du monde en 1930, n'a pas traversé l'océan Atlantique, c'est l'Argentine qui représente un style sud-américain. BEN reprend ici une représentation cristallisée dans les années 20 : celle d'Argentins artistes mais peu physiques, face à des Uruguayens pratiquants un jeu « d'hommes ».
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté