Le football pour les enfants
Il calcio per i piccoli…ou le football pour les enfants dans la presse italienne des années trente
Si la presse italienne est définitivement contrôlée et épurée de ses éléments jugés subversifs après l’instauration de la dictature par Mussolini en janvier 1925, cette prise en main des grands quotidiens tels que Il Corriere della Sera à Milan, La Stampa à Turin ou Il Secolo XIX à Gênes s’accompagne d’une modernisation de leur maquette. L’usage plus fréquent de photographies, un souci plus grand de la hiérarchisation et de la clarté des pages, l’augmentation des espaces dédiés au sport permettent de dépoussiérer ces grands titres.
Le rival turinois de La Stampa, La Gazzetta del Popolo, propriété depuis 1924 des industriels Ponti et Besozzi, principaux actionnaires de la S.I.P. et fondateurs du groupe S.E.T. (Società Editrice Torinese) et qui avait adopté très tôt une ligne favorable au fascisme, suit naturellement cette évolution en proposant également à partir de 1932 un supplément pour les enfants dont We are football propose ici la reproduction d’une page en noir et blanc. L’idée n’était pas tout à fait neuve puisque le 27 décembre 1908 avait déjà été créé et imprimé par Il Corriere dei piccoli sur les rotatives du quotidien milanais de référence : c’était la naissance de la presse consacrée aux fumetti, c’est-à-dire à la bande dessinée en Italie.
L’édition du mardi 12 avril de la Sezione per i piccoli de la Gazzetta del Popolo propose un nouvel épisode des mésaventures du « chroniqueur » Pio Percòpo qui confond ici l’uniforme des bagnards avec le maillot « zébré » de la Juventus de Turin. Il fait alors intervenir par erreur un policier : derrière les mains du « suspect » qui se lèvent apparaît bientôt le corps athlétique d’un défenseur de la Juventus (terzino) dont les traits même stylisés rappellent aisément ceux d’Umberto Caligaris, le rugueux défenseur piémontais alors au sommet de sa carrière. Qui aime bien châtie bien : Caligaris administre une fessée au malheureux journaliste puis l’utilise comme un ballon de football pour tirer au but…
Outre le caractère un peu cruel de la chute qui devait rappeler aux enfants toutes les rigueurs de l’éducation d’antan, l’utilisation du thème du football et d’une des vedettes de la Juventus, qui domine alors le championnat de série A, sont certainement symptomatiques de l’importance prise par le calcio dans la culture de masse et la vie des grandes métropoles du Nord de l’Italie. Les enfants jouent désormais au football pendant leur temps libre sur les prés non encore dévorés par l’expansion urbaine aux alentours des « barrières » turinoise et milanaise alors que les clubs petits et grands accueillent les footballeurs en herbe dès l’âge de 10-12 ans. Les futurs Meazza et Caligaris, quand leurs parents en ont les moyens, participent aux compétitions de la fédération amateur ULIC qui prend le nom, au cours des années trente, de Sezione Propaganda. Tous commencent en tout cas à rêver de devenir une vedette de football et se choisissent une équipe de cœur qui constituera pendant toute leur vie une part de leur identité sociale et masculine.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté