La cr?ation de l'UEFA
Lorsque se réunissent, le 15 juin 1954, vingt-six dirigeants de fédérations européennes, combien se doutent alors qu’en participant à la création de ce qui s’appelle encore le «Groupe des associations européennes», ils viennent de donner naissance à un futur poids lourd du football mondial? Quelques mois plus tard, une de leur première décision apparaît pourtant bien modeste: organiser un match de gala célébrant les 75 ans de l’association de football d’Irlande du Nord, afin de fournir un petit fonds de roulement à la nouvelle et faible «Union des associations européennes de football» (ou UEFA), rebaptisée ainsi le 30 octobre 1954. Un demi-siècle plus tard, la petite association de droit suisse s’est muée en géant, à travers l’organisation de compétitions aussi importantes que l’Euro et la très lucrative Ligue des champions.
Entre réticences et défiance: la création de l’UEFA
Sa principale mission, la gestion des compétitions se déroulant à l’échelle du continent, apparaît a priori comme sa raison d’être originelle. Mais cette explication, diffusée par l’UEFA elle-même, ignore les événements ayant conduit une poignée de dirigeants à s’unir dans un projet qui remonte au début de l’année 1952. Pire, elle ne tient pas compte de la farouche réticence de la plupart de ses pères fondateurs, en particulier celle de l’Anglais Stanley Rous (qui présidera la FIFA de 1961 à 1974), à organiser une Coupe des clubs champions européens issue de l’imagination de quelques journalistes du quotidien L’?quipe. Seule la tenue d’un trophée mettant aux prises des nations, et non des clubs, suscite alors l’intérêt de quelques-uns de ses dirigeants. C’est malgré elle, poussée par une FIFA craintive de voir les grands clubs du continent se passer des instances représentatives du football, que l’UEFA devra prendre sous son aile ce qui, en changeant de formule en 1992, deviendra la Ligue des Champions.
Car la raison d’être de l’UEFA dans ses premières années est avant tout de défendre les intérêts d’un continent qui voit son influence dangereusement décroître au sein de l’instance mondiale du football, la FIFA. Lorsque le Belge José Crahay et l’Italien Ottorino Barassi évoquent pour la première fois, au début de l’année 1952, l’idée de créer une confédération européenne, c’est uniquement pour mettre sur pied un groupe de pression servant les fédérations du continent. Le dirigeant italien ne cachait d’ailleurs pas que la tâche de l’UEFA serait de «se réunir périodiquement pour étudier l’ordre du jour de chaque assemblée générale de la FIFA afin d’adopter une attitude commune sur les points importants». «Nous ne pensions pas à la création de coupes», écrira-t-il vingt-cinq ans plus tard.
Un groupe de pression devenu nécessaire avec l’internationalisation du football
Le besoin de créer un groupe de pression européen est guidé par un constat qui s’impose aux dirigeants des fédérations du continent au début des années 1950. Depuis la naissance de la FIFA en 1904, le monde et l’Europe du football ont toujours coïncidé. Une confédération européenne distincte de la FIFA serait logiquement apparue comme inutile. Mais, diffusé à travers le monde par les Britanniques à la fin du XIXe siècle, le football est moins eurocentré au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le Vieux Continent voit sa prépondérance au sein de la Fédération internationale remise en cause. Si sept associations européennes avaient été à l’origine de la création de la FIFA, celle-ci compte déjà, en 1950, quarante et une fédérations non européennes. Le 28e Congrès de la fédération internationale, qui se déroule du 24 au 26 juillet 1952, va finir de pousser les dirigeants du Vieux Continent à s’unir. Ce Congrès est vécu comme un traumatisme par les Européens, qui y apprennent la nécessité de voter de manière concertée, en particulier pour faire face à la coordination sans faille de leurs homologues sud-américains.
L’Europe de l’Atlantique à l’Anatolie
Une fois lancé, le projet de groupement européen se voit encouragé par la FIFA qui, en 1953, permet «la création et la légalisation des confédérations continentales», jusque-là interdites. La première réunion officielle du «Groupe des associations européennes» se tient dans un hôtel de Bâle, le 15 juin 1954. La rédaction de ses premiers statuts se fait à Vienne, en mars 1955. Parmi ses trente et un membres figure déjà la Turquie.
La naissance de l’UEFA participe d’un esprit paneuropéen alors largement répandu sur le continent. Il n’est pas fortuit qu’une Europe du football éclose quelques mois après une Europe économique et politique (la CECA, en 1952), une Europe des droits de l’Homme (le Conseil de l’Europe, en 1949) et une Europe de l’audiovisuel (l’Union Européenne de Radiodiffusion, en 1950). Mais c’est davantage à la perte d’influence du continent européen, qui cesse, avec le Second conflit mondial, d’être le centre de gravité du monde contemporain, qu’il faut imputer la création de l’UEFA. La naissance de celle-ci découle directement de la fin de la suprématie européenne. Une suprématie remise en cause du point de vue de la diplomatie, de l’économie, de la culture… mais aussi du football.
ANTOINE MAUMON DE LONGEVIALLE
?tudiant à l’I.E.P. Strasbourg et journaliste à L’?quipe