Les mouvements de boycott de la coupe du monde 1978
Le 24 mars 1976, le gouvernement d’Elisabeth Péron était renversé par un coup d’état militaire. Le général en chef des armées, Rafael Jorge Vidéla, s’emparait alors du pouvoir et imposait une dictature. Les nouveaux maîtres du pays héritèrent alors de l’organisation de la Coupe du monde de football, confiée à l’Argentine par la Fédération internationale (F.I.F.A.) en 1970. Aussi comptèrent t-ils exploiter cet événement dont les enjeux se situaient à deux niveaux : d’abord, sur le plan international, il pouvait réhabiliter et légitimer le nouveau régime, vivement critiqué à l’étranger pour ses crimes ; ensuite, sur le plan intérieur, le Mundial devait permettre d’établir un consensus national autour des dirigeants, dont la politique sociale et économique était de plus en plus contestée, notamment par les importants mouvements de grève qui se développèrent à partir de novembre 1977.
Les projets de Vidéla déclenchèrent une levée de boucliers en Europe et en France en particulier. Lancé par l’intellectuel Marek Halter qui signa un article dans le journal Le Monde du 19 octobre 1977, un mouvement de boycott de la coupe du monde de football s’organisa. Regroupés au sein d’un comité (COBA), les opposants avaient pour objectifs d’alerter l’opinion publique sur la situation argentine, de faire pression sur les instances politiques et le mouvement sportif, en particulier les fédérations nationales et internationale de football, pour qu’ils déplacent, voire annulent, la compétition. Il s’agissait, en dernière analyse, d’isoler et de renverser le régime argentin. Les partisans du boycott venaient d’horizon divers : outre des intellectuels, de gauche comme de droite, tels Sartre, Aragon, Domenach ou encore J.-F. Revel, on comptait dans leurs rangs des artistes, des réfugiés politiques d’Amérique latine, des organisations humanitaires et surtout des militants issus de cette constellation de partis et de courants que constituait l’extrême gauche.
Le COBA montait plusieurs actions pour atteindre ses objectifs : diffusion de tracts à la sortie des stades de football, conférence de presse, meeting à la Mutualité, manifestations, pétition,… Cependant, ce comité de boycott ne réussit pas à infléchir les positions des dirigeants politique et du mouvements sportif.
A gauche comme à droite de l’échiquier politique, on opta pour le maintien du déroulement de la coupe du monde en Argentine. Le Parti républicain, le R.P.R ainsi que le Front National, prônaient une participation sans condition de l’équipe de France, au nom de l’apolitisme sportif. Le P.S. et le P.C.F. proposaient quant à eux une participation conditionnée : l’idée était qu’il fallait se rendre à Buenos Aires pour « manifester sa solidarité avec le peuple argentin » et témoigner de la réalité politique dans ce pays. Derrière ce vernis déclaratif, se profilait en fait une échéance électorale, c’est à dire les législatives de mars 1978, que la gauche espérait remporter et retrouver ainsi le pouvoir qui lui échappait depuis près de vingt ans. Or, les sondages d’opinions réalisés par la SOFRES et l’IFOP indiquaient que plus de 65 % des Français étaient favorables à la participation de l’équipe de France. Cette tendance était particulièrement marquée chez les ouvriers. En revanche, 20 % des Français seulement pensaient qu’il faille s’abstenir. Dans ces conditions, les partis politiques ne voulurent pas froisser leur électorat. La coupe du monde de football a pu paraître comme un enjeu électoral mineur.
Cette tentative de boycott fut aussi victime de la Realpolitik , notamment des relations politiques et économiques entretenu par le gouvernement français et la junte militaire. Boycotter le Mundial revenait à condamner le régime de Vidéla et à rompre ces relations avec lui, ce que nous pouvait se permettre la France. Elle portait en effet un intérêt croissant à ce pays du cône sud : vente d’armes, coopération militaire, prêts accordés par différentes banques françaises, … De même, en prônant la participation de l’équipe de France, le P.C.F. entendait prévenir toute tentative de boycott des Jeux olympiques que devaient organiser, deux ans plus tard, le « grand frère soviétique » à Moscou. De nombreux intellectuels avaient fait un lien entre les deux compétitions, puisqu’elles étaient organisées l’une comme par l’autre par des régimes répressifs et criminels.
Le COBA n’eut pas plus d’influence sur les mouvements sportifs, c’est à dire les fédérations, joueurs et supporters. Tous, à quelques exceptions près, s’opposèrent au boycott au nom de l’apolitisme sportif. Cependant, certains ne furent pas indifférents à la campagne de sensibilisation, notamment F. Sastre, Dominique Rocheteau ou encore le journaliste sportif Alain Leiblang. Ils tentèrent de prendre des nouvelles des français disparus en Argentine et de recueillir des témoignages, mais sans aucun résultat.
La Coupe du monde se déroula donc comme prévu en Argentine durant le mois de juin 1978. Mais, contrairement à ce que craignaient les partisans du boycott, elle ne fut pas un succès pour la dictature. Le régime de Vidéla ne réalisa aucun des objectifs qu’il s’était fixés, à savoir redorer son image et mettre fin à la crise économique et aux mouvements de grèves qui secouaient le pays.
Xavier Breuil
Université d'Orléans