Etienne Mattler
Etienne Mattler fait sans doute partie des premiers joueurs professionnels français. Il est recruté en 1929 par le FC Sochaux, deux ans avant l'instauration du professionnalisme en France. Avec ce club, dont il est le capitaine emblématique, il remporte une Coupe Peugeot en 1930, deux championnats de France en 1935 et 1938, et une Coupe de France en 1937. Parallèlement, il reste longtemps le joueur le plus capé en équipe de France (au total 46 sélections de 1930 à 1940), participant ainsi à trois Coupes du Monde de 1930 à 1938.
Pourtant, ce n'est ni son palmarès ni son style de jeu souvent qualifié de « viril » - euphémisme prudent pour cet arrière qu'on surnomme « le balayeur » en raison de ses tacles pour le moins efficaces - qui sont mis en avant dans la presse de l'époque mais son mode de vie « simple » et ses valeurs d'abnégation et de travail. Pour les journalistes comme pour ses dirigeants, il incarne une sorte d'idéal du bon père de famille, du bon ouvrier ou du bon soldat.
Du point de vue de ses employeurs sochaliens, il représente en quelque sorte l'exemple à suivre pour la main d'œuvre des usines Peugeot. Là où d'autres joueurs professionnels s'affichent volontiers au volant de bolides ou en charmante compagnie dans un dancing, Mattler préfère le grand air des ballons vosgiens au tumulte des grandes villes et se couche invariablement à 9 heures tous les soirs. Ses aspirations à mener une vie de famille calme et rangée en font un véritable avatar de « l'équipe Peugeot » sur le terrain comme en dehors.
Les journalistes soulignent que, lorsqu'il joue en équipe de France, « quand l'adversaire envahit sa surface de but, c'est la patrie en danger ! » Seul face à une assemblée de supporters italiens après un match houleux contre la Squadra Azzura en 1938, Mattler aurait entonné La Marseillaise debout sur la table d'une auberge napolitaine. Dans la presse d'avant guerre, le capitaine de l'équipe de France est ainsi assimilé, comme nombre d'autres sportifs à l'époque, à un capitaine d'infanterie menant ses troupes au combat. Cette anecdote est réinterprétée à la Libération par ses hagiographes qui lui donnent une signification particulière à la lumière de ses faits de Résistance.
La personnalité de Mattler se prêtant particulièrement à l'illustration d'un certain nombre d'idées en vogue dans la société de l'époque comme l'amour de la patrie ou les bienfaits de la vie campagnarde, les journalistes en ont parfois dressé un portrait à la limite de l'imaginaire. Mais en en faisant une véritable incarnation de ces valeurs, ils ont également fait de lui l'une des grandes figures du football des années trente.
Antoine Mourat
Université de Franche-Comté