France-Portugal
Colombes : le son du glas sur un air de fado 26 Avril 1975 : l’équipe de France de football s’apprête à jouer contre le Portugal en match amical au stade olympique Yves du Manoir de Colombes. Les bleus vont fouler la pelouse de ce stade mythique une dernière fois dans une indifférence totale. Aucun hommage, aucune évocation, pas même une allusion pour commémorer cette enceinte qui a accueilli 83 matches de l’équipe de France entre 1908 et 1975, ainsi que 42 finales de Coupe de France entre 1925 et 1971, sans oublier la finale de la Coupe du Monde 1938 remportée par l’Italie.
Sur la scène sportive, l’équipe de France semble être relayée quasiment au second rang en cette semaine d’avril 1975. En effet, le 23 Saint Etienne joue sa demi-finale retour contre le Bayern à Munich, match perdu 2-0. Dans ces conditions, le sélectionneur Stefan Kovacs renonce aux Stéphanois pour la rencontre contre le Portugal. C’est donc une sélection amoindrie qu’il compose. Cette équipe de France ne jouit pas d’une cote extraordinaire, elle demeure même assez maussade, sans véritable leader technique ou charismatique. Platini ne connaîtra sa première sélection qu’un an plus tard, quand Giresse, lui, joue pour les espoirs. On retient de ce match, du côté français, l’entrée à la 88e minute du nîmois Bernard Boissier dont ce fut la seule et unique apparition en équipe de France.
Pour le reste, l’affiche ne semble pas mériter les honneurs du parc des Princes dont on juge préférable de préserver la pelouse en vue de matches importants de fin de saison que sont les finales de Coupe d’Europe des Clubs Champions, de Coupe de France, et du championnat de rugby. Le choix est fait du stade de Colombes en dépit de la vétusté des installations. Il est du reste intéressant de relever que le record d’affluence, bien qu’officieux, pour ce stade (plus de 63 000 spectateurs) résulte de la mobilisation des supporters portugais à l’occasion d’un match d’appui de quart de finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions, entre l’Ajax et le Benfica, le 5 Mars 1969.
Le 26 avril 1975, les Portugais continuent de jouer à domicile au stade de Colombes puisqu’ils représentent la majorité des 35 000 spectateurs réunis pour assister au match de leur équipe nationale face à l’équipe de France. La présence massive des Portugais dans les tribunes fait écho à l’importante vague migratoire en provenance de la péninsule ibérique au cours des Trente glorieuses. En 1975, les Portugais représentent la première nationalité étrangère représentée en France avec 750 000 personnes. Cette communauté est en outre particulièrement bien organisée avec notamment 80 associations culturelles recensées au sein desquelles le football est une composante centrale et fédératrice. La publication par le quotidien L’?quipe d’un un double éditorial franco-portugais le lendemain du match consacre d’ailleurs la prise en compte de ce phénomène socio-culturel.
Le 25 avril 1974, la mobilisation trouve également un sens politique avec la commémoration de la Révolution des œillets qui un an plus tôt, le 25 Avril 1974, a mis fin à la dictature de Salazar. En outre, le match se déroule le lendemain des premières élections démocratiques depuis plus de cinquante ans qui voient une nette victoire des socialistes, symbole d’une rupture définitive avec le régime passé. La victoire, 2 buts à 0 (Néné et Marinho sont les buteurs) de l’équipe lusitanienne contre l’équipe de France apparaît dans ces conditions comme un appel à la reconnaissance d’un pays récemment démocratisé. L’engouement pour le football un an après la Révolution des œillets confère toutefois à ce match un caractère ambivalent. En effet, le régime de Salazar, l’Estado Novo avait fait du football un symbole fort du pays au point de l’intégrer dans une devise appelée « le triple F » aux côtés de la musique traditionnelle du pays, le Fado et de Fatima, le lieu d’apparitions de la vierge. L’association à ces symboles d’un régime réactionnaire fondé sur la tradition et le catholicisme donnait au football une dimension politique. Toutefois si les démocrates opposent en 1974 au « triple F » « le triple D », Démocratie, Décolonisation et Développement, force est de constater que le changement politique n’a pas ébranler la forte capacité d’identification nationale de ce sport. Les manifestations du public portugais lors du match de Colombes en constituent un témoignage.
Xavier Moya, Stéphane Mourlane
Université de Nice