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Les coups de feu de la gare Porta Nuova

La violence sportive n’est pas un phénomène nouveau en Italie. Les premiers débordements de supporters ont eu en effet lieu dès la veille de la première guerre mondiale. Mais c’est dans la période troublée de la montée du fascisme que l’Italie connut sa première vague de violence entre 1919 et 1925. Arbitres et joueurs adverses agressés, autobus caillassés, intimidations verbales et physiques: la consultation des archives du ministère de l’Intérieur italien et des préfectures et de la presse rend très largement compte de ce phénomène particulièrement virulent en Italie centrale et septentrionale. La mémoire sportive a retenu la finale de championnat d’Italie du Nord opposant les clubs de Bologne et du Genoa comme l’exemple le plus fameux de ces violences. Il est vrai que son écho remonta jusqu’au plus haut sommet de l’Etat.

Les finales du championnat d’Italie du Nord

Aux mois de juin et juillet 1925, l'attribution du titre de champion se joua au cours de plusieurs rencontres de finale disputées par Bologne et Genoa. La tension était à son comble à l'issue d'une très longue saison. Le premier match joué à Milan fut déjà le théâtre de nombreuses irrégularités. Menée 2 buts à 1, l'équipe de Bologne égalisa sur une action irrégulière. L'un de ses attaquants, Bellini, contrôla mal la balle dans la surface de réparation. Le ballon fila vers la sortie de but, mais des supporters émiliens massés tout autour de la pelouse le repoussèrent et le rendirent à Bellini qui put ainsi marquer le point salvateur. L'arbitre Mauro annula dans un premier temps le but, mais dut alors subir la fureur et les menaces du public. Selon La Stampa du 9 juin 1925, «Mauro fit mine de s'éloigner, mais ensuite resta sur le terrain et après treize minutes de discussion finit par accorder le but.» A la suite de l'incident les dirigeants et les joueurs du Genoa décidèrent de quitter le terrain.

Autant dire que les rencontres suivantes furent jouées dans une atmosphère plutôt lourde. Ainsi, avant le match disputé à Turin sur le campo Juventus de corso Marsiglia le 5 juillet, Il Paese Sportivo, le quotidien sportif de la capitale piémontaise, annonçait que «par décision de l'autorité supérieure l'entrée serait interdite aux personnes munies de bâton.» Et le lendemain de la rencontre, le même périodique rapportait que toutes les précautions avaient été prises pour que la partie se déroule dans le calme. «Autour du rectangle de jeu, un cordon de carabiniers est mis en faction: un militaire tous les trois mètres.» Les dispositions furent efficaces puisque le match, qui se termina encore sur un score de parité (1-1), se déroula de façon régulière.

Coups de feu à la stazione Porta Nuova

Par conséquent, les esprits ne purent s'échauffer qu'en dehors du terrain, plus exactement à la gare de Turin. Reprenons les faits tels qu’ils sont décrits par Il Paese Sportivo et le quotidien turinois La Gazzetta del Popolo qui, pour l'occasion, mobilisa un quart de la page habituellement consacrée à la Vita in Città, c'est à dire les faits divers citadins. Selon le périodique sportif daté du 6 juillet 1925: «A la gare de Porta Nuova (Turin) des incidents ont eu lieu au départ des deux trains spéciaux. Entre les deux troupes de supporters génois et bolognais des invectives et des injures furent échangés. Quelques coups de pistolets furent tirés du train pour Bologne qui partait à 20 h 40. Il semble qu'un supporter génois ait été blessé.» La Gazzetta del Popolo, précisait également le 6 juillet 1925 que les ?miliens avaient ouvert le feu lorsque leur convoi se mettait en branle, et que, si la majeure partie des coups avaient été tirés en l'air, quelques uns, cependant, touchèrent le train des Ligures. Quant au blessé, il s'agissait d'un docker du port de Gênes, Francesco Tentorio, touché à la cuisse gauche et immobilisé pour une durée d'au moins trois semaines.

Les supporters au banc des accusés

Les commentaires d’une presse soumise à la censure depuis l’établissement de la dictature fasciste en janvier 1925 montrent que loin d’être un phénomène isolé, les coups de feu de la gare Porta Nuova n’étaient que l’expression la plus poussée de la passion sportive. Déplorant les actes mais ne les jugeant pas étonnants, les observateurs les rapprochaient en effet des pratiques d'encouragement et du problème des trains de supporters affrétés par les sociétés. Les luttes verbales entre les factions semblaient être tout d'abord un élément du spectacle sportif: à la bataille du terrain répondait celle, plus ou moins pacifique des tribunes, où «la foule des spectateurs participe (...) en criant, en invectivant, afin d'encourager l'équipe amie, de rendre la vie dure à l'arbitre (...). Et les deux foules adverses s'apostrophent tour à tour, s'occupant non seulement de l'issue de la partie, mais aussi de la nature des interjections, écoutant et retournant les expressions trop vives, ajoutant fréquemment des menaces au chaotique duel verbal » (La Gazzetta del Popolo, 6 juillet 1925). Enfin, alors que le match était achevé, les discussions, les provocations continuaient à la sortie du stade, donnant souvent lieu à de vives «altercations». Les interprétations débouchaient donc sur la mise en cause d'un surinvestissement émotionnel, de supporters qui désiraient faciliter la victoire des leurs par tous les moyens possibles et notamment en «pratiquant (...) des injections d'optimisme à leurs protégés, en se chargeant de convaincre leurs adversaires de leur indiscutable infériorité » (Il Paese Sportivo, 9 juillet 1925). Le match n'ayant pas abouti à la victoire d'un camp, la lutte continuait le prochain match était déjà lancé.

Plus concrètement, certains journalistes mettaient aussi en cause les clubs de football. Pour les déplacements, ceux-ci réservaient souvent un train entier transportant 500 à 1 000 supporters, non seulement pour satisfaire ces derniers mais également pour ne pas se retrouver en situation d'infériorité en terrain adverse. Dans ce but les clubs proposaient même les billets de voyage à un prix inférieur au coût de revient. «Les équipes ne suffisent plus, il faut aussi les partisans, lesquels interviennent dans les tribunes ou dans les populaires afin de mettre les partisans adverses en condition d'infériorité et préparer ainsi l'atmosphère idoine à la victoire de leurs couleurs » (La Gazzetta del Popolo, 6 juillet 1925).

De la violence sportive à la fascisation du football

Aussi pouvait-on comparer «certaines descentes de supporters » à de «véritables expéditions punitives », comme celles qui frappaient les ennemis du fascisme. L'identification à la juste cause que représentait le club devait être en tout cas très forte puisqu'à la fin du mois de juillet, alors que la FIGC avait puni le club émilien d'une très lourde amende de 5 000 lires et qu'elle l'avait sommé de donner le nom des coupables, une assemblée de supporters réunit plus de 1 000 personnes, piazza Nettuno au cœur de Bologne. Organisé par un conseiller municipal, le capitaine Galliano, le rassemblement avait pour objet de soutenir le club qui avait repoussé la délibération fédérale. Stigmatisant les «manipulateurs du plus mesquin parlementarisme sportif, en somme tous ceux qui se sont montrés indignes de présider aux destinées de la grande et vigoureuse famille du football national », le représentant des supporters bolonais invitait ensuite le club à ne pas se plier à «l'ultimatum démentiel de la fédération[i]». Malgré l’occupation de la place, le club de Bologne dut rentrer dans le rang. D’autant que le régime mit en place une législation spécifique sur les rencontres sportives. Le décret-loi daté du 6 août 1926 institua l’obligation de la double autorisation préfectorale et gouvernementale pour la tenue d’un match international (art. 1), les démarches pour organiser une rencontre à caractère national devant être effectuées auprès du préfet au moins un mois à l’avance (art. 5). Cela ne suffit pas à étouffer les expressions du campanilisme sportif mais la poussée de fièvre de l’après-guerre était jugulée.

Paul Dietschy

Université de Franche-Comté

.



[i] [i] Archivio Centrale dello Stato, Min. Inter., P.S., 1925, busta n. 103, rapport du préfet de Bologne Arturo Bocchini au ministre de l'Intérieur daté du 21 juillet 1925.


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